Nathan Devers (dont la fiche wikipedia donne un peu le profil) est un intellectuel. Dès son plus jeune âge, il ne vibre que la spiritualité et les rituels, lectures et chants qu’il peut entendre dans sa synagogue. Boulimique de lecture, surdoué, brillant, il se destine à devenir rabbin, et a visiblement toutes les qualités pour ce faire. Mais, et c’est ce que raconte magnifiquement son livre « Penser contre soi-même », c’était sans compter sur la littérature, et sur la philosophie.
Car son parcours tout tracé pour continuer à progresser dans l’étude de la Torah, du Talmud, et dans les textes de Maïmonide s’est heurté, fracassé même, sur l’évolution spirituelle de l’auteur, supportée par la découverte de la littérature, puis grâce à un ami de sa synagogue, de la philosophie. Nathan Devers en a fait sa vie.
Je ne dirais pas, d’ailleurs, que Nathan Devers a perdu la foi, comme le dit le quatrième de couverture. Je pense qu’il était beaucoup plus intéressé par le mystère, et par l’acquisition du savoir que par Dieu. Par les acrobaties intellectuelles et sémantiques, les raisonnements, que par la croyance ou la foi. Ce n’est que mon avis et j’interprète peut-être à tort ce qu’il en raconte.
Quoi qu’il en soit, c’est dans un français magnifique que l’auteur nous décrit son parcours spirituel et philosophique, d’une manière profonde et drôle, détachée et en même temps incandescente. Paradoxe apparent, il se plonge dans la philosophie pour le doute radical, et la capacité à sortir de ses déterminations, préjugés et certitudes : mais il finit par comprendre qu’on ne pense réellement qu’à partir d’un point de vue particulier, d’un ancrage dans un parcours, et il finit par accepter dans sa manière de philosopher son héritage judaïque. Il philosophe à proprement parler « en juif » : je retrouve dans sa méthode et sa manière d’articuler doute, questionnement, décalages systématiques dans le point de vue, une part du ton et de l’esprit de Levinas, lisible dans ses Quatre Lectures Talmudiques.
C’est un livre que j’ai dévoré, facile à lire, captivant. Nathan Devers a perdu la foi, peut-être, mais je vois aussi, dans son style, dans sa manière de penser en quoi il est toujours, finalement, religieux. Bien sûr pas dans le monde des idées, où il pratique le doute radical et cherche, toujours, à se réinventer, à questionner les vérités considérées comme acquises. Il n’y a pas beaucoup de place pour Dieu dans ce monde. Mais sa fibre personnelle, sa liberté, sa sensibilité, radicale, intense, tourmenté, et son engagement total dans ce qu’il fait montre une personnalité hors-norme, et un parcours très particulier, proche de l’ascèse religieuse.
A titre personnel, j’aurais envie de lui conseiller d’être un peu moins cérébral, d’utiliser plus ses mains, son corps, et de faire des enfants, pour équilibrer un peu ce tempérament de feu, inlassablement en quête d’un sens qu’il a philosophiquement déjà abandonné.
Penser contre soi-même
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