« Le monde sans fin » est une bande dessinée pédagogique, née de la collaboration entre Jancovici et Blain. Il y est question d’énergie, de climat, de l’humanité. C’est un formidable ouvrage, qui se dévore, qui nourrit, qui fait réfléchir et …réagir car il comporte quelques biais idéologiques.
Christophe Blain est un des auteurs de BD françaises les plus talentueux, et l’un de mes préférés. J’adore son trait, et son style. Vous pouvez notamment vous jeter sur la série Gus. Il a souhaité rencontrer Jean-Marc Jancovici, ingénieur, enseignant et entrepreneur, inventeur du bilan carbone, pour mettre en image et en narration son éclairage sur l’énergie et le climat. Le livre est le très beau résultat de cette collaboration.
Qualités indéniables
On retrouve dans le livre le franc-parler de Jancovici, qui ne mâche jamais ses mots pour dézinguer les opinions qu’il pense stupides ou erronées. C’est ce qui fait de lui un animal à part dans le champ des discussions sur l’énergie et l’écologie. Pro nucléaire, ce qui me plaît compte tenu des énergies disponibles, mais aussi visiblement pas vraiment un franc-partisan de la liberté (planiste, néo-malthusien), ce qui me déplait compte tenu de mes valeurs. On sent tout de même le technocrate, et le collectiviste ; ce qui sur un sujet comme l’énergie est moins choquant : la subsidiarité bien comprise implique que certains sujets soient nécessairement traités sur une maille nationale, voire internationale, et celui de l’énergie en fait probablement partie.
J’ai beaucoup aimé aussi, outre les magnifiques dessins, le style narratif choisi par Blain. Racontant son histoire avec le sujet, et avec Jancovici, il assume d’être celui qui ne sait pas (mais apprend et transmet). Cela fait un ton toujours très pédagogique, jamais lourdingue, toujours fluide et clair. J’ai beaucoup apprécié la partie finale sur le fonctionnement du cerveau, utile et donnant une profondeur et une ourverture au propos.
Oui, mais…
J’ai déjà mentionné quelques points de désaccord de philosophie politique. Mais ils ne sont pas gênants en tant que tel. Ce qui me dérange plus, mes lecteurs n’en seront pas surpris, c’est le mélange entre politique et science dans l’argumentation. La science dit ce qui est, la politique dit ce qu’on décide de faire compte tenu de ce qui est et de ce qu’on en sait. La science ne dit pas ce qu’il faut faire. Or, sur ce sujet, le mélange est omniprésent, et il me semble que cela devrait faire partie du rôle de pédagogue que de démêler cet entrelacement douteux. La planète se réchauffe, soit. L’effet de serre a un rôle dans ce réchauffement, soit. Il est possible que l’homme ait une part (petite à priori) dans ces variations de climat, soit. Mais rien de tout cela ne dit ce qu’il faut faire, et avec quelle proportion, avec quelle vitesse. C’est l’affaire des arbitrages politiques, des affaires humaines. Car soyons beaucoup plus clairs : la science ne dit pas ce qu’il faut faire, mais des scientifiques et des politiciens, ou des activistes peuvent utiliser la science pour faire comme si elle apportait avec elle les choix politiques et les arbitrages. C’est de la manipulation. Je pense que Jancovici tombe un peu là -dedans à certains moments.
Il joue sur la peur, et ne montre qu’une partie des faits, pour faire croire au lecteur que certaines actions sont inévitables et commandées par le réel. Quelques exemples ? Je n’ai pas lu dans le livre la mention qui aurait dû être faite de la part de l’homme et du CO2 anthropogénique dans l’effet de serre global : à peine 0,3%. Le principal vecteur d’effet de serre sont la vapeur d’eau, et le CO2 naturel, dont les cycle sont presqu’indépendants des activités humaines. Ce simple fait, ainsi que la dépendance connue du climat aux variations astronomiques (activité solaire, position de la terre, etc..), fait prendre du recul par rapport au message « activité humaine = réchauffement = castrophe ».
Il n’est jamais fait mention dans le livre, non plus, des effets positifs de l’augmentation du CO2 et de la température. Par exemple, la terre n’a jamais été aussi en forme côté « forêts » (ce qui contredit les images catastrophiques du livre). Les plantes en général et les arbres en particuliers, bénéficient de l’augmentation de CO2, ce qui peut d’ailleurs être un élément d’auto-régulation du climat.
Je n’ai pas vu dans le livre non plus d’éléments concernant les « nouvelles » pistes de production d’énergie (notamment la fusion nucléaire qui fait des progrès chaque jour).
L’éducation peut-elle faire l’impasse sur le Vrai ?
Je comprends ces raccourcis : le livre a été fait dans une logique de persuasion, de mise en mouvement des lecteurs. Le pari est réussi. ça marche toujours de faire peur. C’est ce que fait le GIEC depuis 1988. Mais je fais partie des esprits – probablement trop idéalistes – qui aimeraient que les combats politiques se mènent sans trahir ou masquer excessivement la vérité. Pour repenser nos modes de fonctionnement, notre rapport à l’énergie, à la consommation, à la croissance, faut-il faire planer sur tous les esprits, notamment les jeunes que l’on forme, une angoisse existentielle sur-jouée, et rendant fou, car portant sur des sujets où probablement l’homme n’a qu’une influence négligeable ? Faut-il jeter la rigueur et la vérité pour faire avancer sa cause ? Je pense le contraire. Aucune cause ne saurait être juste si elle nécessite pour avancer de cacher le réel et de museler la vérité.
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