Le dernier ouvrage de Steven Pinker, professeur de psychologie à l’université Harvard, est une très belle et utile somme consacrée à la « capacité humaine d’utiliser des connaissances pour atteindre ses objectifs ».
La raison, moteur du progrès
Pinker fait de la raison le moteur du progrès matériel et moral de l’humanité. Deux moyens sont à notre disposition pour améliorer cette capacité. Le premier consiste à acquérir individuellement des connaissances sur les nombreux biais et erreurs qui entachent nos raisonnements : erreurs de logique, croyances erronées, mauvaise utilisation des statistiques, trop grande confiance dans nos intuitions, confusion entre corrélation et causalité. C’est l’objet principal du livre que de les porter à notre connaissance, et c’est fait d’une manière claire, très riche, pédagogique. Le propos est direct et clair, émaillé d’exemples concrets et d’histoires drôles. Tout cela devrait être appris à l’école, comme le souligne l’auteur, « les outils de la logique, des probabilités et de l’inférence causale traversent tout type de connaissance humaine : la rationalité devrait être le quatrième pilier essentiel [des programmes scolaires], avec la lecture, l’écriture et l’arithmétique ».
Organiser la rationalité
Le deuxième moyen consiste à bâtir collectivement des institutions et processus de rationalité, forçant la confrontation des idées, l’esprit critique, l’humilité et la rigueur. « Il s’agit notamment de l’examen critique par les pairs dans les universités, de la testabilité dans les sciences, de la vérification des faits et de l’édition dans le journalisme, de l’équilibre des pouvoirs dans la gouvernance et des procédures contradictoires dans le système judiciaire ». L’auteur précise bien certaines des raisons de l’irrationalité actuelle (complotisme, charlatanisme et fake news) : certaines institutions — médias, universités — dans lesquels les citoyens avaient externalisé la création et le partage du savoir suscitent la méfiance à cause de « l’étouffante monoculture (…) de gauche », dogmatique, qui y règne.
Eudémonisme
La seule – toute petite – critique que l’on pourrait adresser à Pinker, c’est qu’il semble considérer comme acquis le fait que chacun cherche le bonheur. Au-delà du fait que cette notion est pour le moins polysémique, c’est une position eudémoniste (le bonheur comme fin ultime). Elle est tout à fait légitime, mais mériterait d’être mise en perspective. Si la raison est la capacité humaine à utiliser des connaissances pour atteindre ses fins, une compréhension élargie des fins permet de mieux embrasser la rationalité. Le kamikaze qui se tue pour sa cause est rationnel, en un sens qui échappe à l’eudémoniste. C’est la même limite que ceux qui cherchent à penser l’action humaine sans prendre en compte la subjectivité de la valeur. Vouloir pleinement comprendre la rationalité sans comprendre la subjectivité des fins est aussi vain que comprendre l’action humaine sans comprendre la subjectivité de la valeur. Comme le rappelait Charles Larmore dans « Modernité et Morale » :
Cette remarque n’enlève rien aux qualités de l’ouvrage, formidable de clarté et de rigueur, qui devrait trouver sa place dans toute bonne bibliothèque.
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