L’empire du politiquement correct

Voilà  un livre qui sort de l’ordinaire : aux éditions du Cerf, Mathieu Bock-Côté vient de publier un magnifique petit essai, « L’empire du politiquement correct ».

Qu’est-ce que le politiquement correct ?

La question de départ de l’auteur est simple : qu’est-ce qui fait que l’on devient infréquentable ou non, médiatiquement et publiquement ? Quels sont les critères qui sont utilisés pour définir ce qui sépare un humaniste bon teint, d’un affreux « fasciste » ? Qui utilise et forge ces critères ?

Mathieu Bock-côté livre une analyse qui va droit au but, sans jamais laisser de côté les nuances, et qui ne mâche pas ses mots. Au-delà  de la forme, splendide de clarté conceptuelle, c’est le fond de l’essai qui prend le lecteur : mettant à  nu un certain nombre de mécanismes que nous connaissons pour les vivre au quotidien, sans forcément savoir mettre des mots dessus, l’ouvrage est d’une réelle utilité pour penser la réalité.

Une définition de ce qu’est le politiquement correct, d’abord :

Dispositif inhibiteur qui pousse à  l’exclusion, à  la pathologisation, de ceux qui expriment un désaccord avec le régime diversitaire. Manière de configurer le débat public en délégitimant les opposants au régime diversitaire.

Nous sortons donc de l’utilisation banalisée du « politiquement correct » que l’on peut attribuer à  ceux qui ne pensent pas comme nous : le sociologue montre que le politiquement correct ne fonctionne que dans un sens bien précis. Le politiquement correct se radicalise, tout en se fendillant de toute part, pourrait-on dire.

Régime diversitaire

Mais qu’est ce que le « régime diversitaire » dont il est question ?

Le régime diversitaire, c’est le fait de déconstruire les normes communes, d’imposer un multiculturalisme obligatoire, c’est également la survalorisation des minorités, présentées comme nécessairement opprimées. Ce progressisme devenu fou, et issu des campus américain dans la suite des radical sixties, vise à  créer des safe spaces, c’est-à -dire des zones où seules les « minorités » pourront s’exprimer (supposément à  l’abri de l’oppression des dominants, généralement le mâle blanc hétérosexuel). Toute une novlangue est utilisée pour faire avancer la cause diversitaire, au sens propre du terme : sous couvert de défense de la liberté d’expression, il s’agit bien en fait d’imposer un communautarisme et un sectarisme digne d’Orwell. Si vous pensez que cette description est exagérée, je vous invite à  regarder ce qui se passe sur le campus d’Evergreen, aux USA. De la folie, même pas douce.

Les imaginaires de la gauche et de la droite

Dans la suite de l’essai, Mathieu Bock-côté revient sur le clivage gauche-droite. C’est probablement la première fois que je lis quelque chose d’intéressant sur le sujet ! Son analyse est que la gauche et la droite ne sont pas équivalentes. Elles ne partagent pas les mêmes imaginaires. La gauche est dans un imaginaire de progrès, de mouvement, de transformation, prométhéen si l’on veut, tandis que la droite est dans une logique d’enracinement, de conservation, de particularisme. Dans le monde d’Hestia, si l’on veut poursuivre la métaphore mythologique.
Leurs manières de considérer la société et les hommes ne sont pas équivalentes. Je me retrouve dans ce découpage, car je trouve qu’il y a une part de vérité dans chaque point de vue. Il s’agit aussi d’un équilibre à  trouver dans la manière de penser. On naît, on n’évolue, et on ne devient humain qu’à  l’intérieur de groupes non choisis (familles, communautés, pays, etc). Nous sommes dans le particulier avant d’être dans l’universel. L’écueil consisterait à  oublier l’un ou l’autre de ces deux aspects. Oublier le particulier au nom de l’universel conduirait à  nier des spécificités culturelles, à  nier des aspects importants de ce qui nous constitue, à  n’être que dans une sorte d’abstraction, de décalage permanent avec le réel. L’autre excès consisterait à  ne considérer que le particulier, en oubliant l’ouverture sur l’universel. Cela peut vite dériver dans du nombrilisme ou dans le refus de ce qui est différent. Pour le résumer, il faut à  l’humain un ancrage dans le particulier et la promesse de l’universel, le réel et l’utopie, l’identité et son dépassement.

Ce que Bock-côté montre très clairement c’est qu’une partie de la gauche est devenue un peu « folle » (comme une machine devenue folle) : dans une posture d’avant-garde permanente, rejetant aussi vite qu’elle les a inventées les nouveautés et les progrès. La droite, prise au piège du politiquement correct, récupère les miettes laissées par la gauche, en la singeant, et en cherchant à  en obtenir une validation morale. Celui qui cherche à  s’accrocher à  quelque chose – une identité, des traditions, une langue, une histoire – sera automatiquement mis au ban de la gauche, donc du politiquement correct.

Eloge du conflit civilisé

Bock-Côté termine son essai avec un bel éloge du conflit civilisé, pour sortir la politique de l’ornière où l’a plongée la gauche. Le progressisme de gauche cité plus haut à  réussi à  imposer un mode d’échange où ceux qui ne sont pas d’accord (avec le politiquement correct) sont montrés comme « le mal ». Il faut réhabiliter le pluralisme, et le conflit civilisé. La politique doit être cela : une manière d’institutionnaliser les conflits, de les mettre en scène de manière non violente, en assumant que ceux qui ne sont pas d’accord avec nous sont des adversaires, et non des ennemis. Adversaire, donc partageant à  minima un terrain de jeu commun.

Mathieu Bock-côté est un auteur qui gagne à  être connu. Direct, fin et … politiquement incorrect ! Pour le découvrir un peu mieux qu’avec ce court résumé, vous pouvez aller l’écouter chez Finkielkraut (où il débat avec Laurent Joffrin), découvrir son interview sur L’incorrect (dont le nom prend tout son sens à  lecture de Bock-Côté), ou encore, et c’est ce que je vous propose ici, lors de son entretien avec Philippe Bilger :

Commentaires

14 réponses à “L’empire du politiquement correct”

  1. Avatar de .
    .

    Quand on est invité partout dans les médias pour donner son avis, on n’est pas politiquement incorrect mais politiquement correct. Bock-Coté est un chevènementiste, comme Finkielkraut, Zemmour, Elisabeth Lévy, Florian Philippot, Philippe Séguin et tant d’autres qui ont pignon sur rue depuis 30 ans. C’est la gauche qu’on appelle la droite en France, car la droite a disparu depuis De Gaulle et il fallait bien la remplacer (au moins dans les termes).

  2. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    hello . (quel drà´le de nom!), je ne crois pas que le propos de Bock-Cà´té soit de se dire victime du politiquement correct (ce qui serait effectivement cocasse). Son analyse reste juste, et il me semble que le politiquement correct qu’il décrit (adossé à  la défense du multiculturalisme et à  la promotion de la « diversité ») écarte à  droite et à  gauche ceux qui ne rentrent pas dans le cadre. C’est en train de bouger et c’est tant mieux (le « moment » populiste dont parle De Benoist)

  3. Avatar de BLOmiG

    par ailleurs, ton argument ne tient pas la route : si les seuls politiquement incorrects étaient ceux qui ne sont jamais invités dans les médias, alors cela signifie que tous les médias sans exception sont en permanence dans le politiquement correct, ce qui est à  l’évidence faux. C’est une question de quantité relative, et de pluralisme. La plupart des médias sont dans le politiquement correct, mais pas TOUS, et pas TOUT LE TEMPS.

  4. […] « reflète ses obsessions ». Pathologiser un auteur, de manière insidieuse, me rappelle les manières de faire du politiquement correct décrite par Bock-Cà´té. J’ai lu Hayek, et s’il y a un bien un auteur qui réfléchit […]

  5. […] piéger par l’expression « extrême droite » qui sert simplement aux tenants de l’idéologie diversitaire pour tenter de museler leurs adversaires. Le RN, ou ceux qui se retrouvent affublés de cette […]

  6. […] retrouvé beaucoup d’éléments communs avec ce qu’explique Mathieu Bock-Cà´té sur le politiquement correct, et la perte de capacité à  simplement penser notre identité […]

  7. […] les sujets de société, me semble très proche dans son analyse, des réflexions proposées par Bock-Cà´té sur le « régime diversitaire » qui est devenu notre politiquement […]

  8. […] avant toute chose, aurait sur le dos les islamistes et autres particularistes, et la clique de diversitaires multi-culturalistes. Un populiste sur cette maille là  est quelqu’un qui reconnait à  sa culture propre et à  sa […]

  9. […] rappelé une distinction importante apporté par Mathieu Bock-Cà´té, dans son ouvrage « L’empire du politiquement correct » : celle entre adversaire et […]

  10. Avatar de Marco lanthier
    Marco lanthier

    J’ai adoré ce livre et j’adore MBC. Le multiculturalisme comme religion politique est remarquable aussi. Bravo Mathieu!!

    1. Avatar de BLOmiG
      BLOmiG

      merci pour votre commentaire. Oui c’est un livre admirable et un intellectuel passionnant que ce Mathieu Bock-cà´té. Je n’ai pas encore lu celui que vous mentionnez, j’ai peur d’y retrouver trop de choses en commun avec celui que je recense ici : est-ce le cas ?

  11. […] je vois passer des messages – très idéologiques – exhortant les entreprises à  « recruter sans discriminer », les bras m’en tombent ! […]

  12. […] qui est un peu trop à  droite avec le terme infamant d' »extrême-droite ». Cela a déjà  été analysé en long, en large et en travers : je ne reviens pas là -dessus. Sauf pour mentionner que […]

  13. […] ne vous rappelle rien ? (moi, ça me rappelle les analyses de Bock-Côté, et de Pierre Manent). Leo Strauss revient ensuite sur l’opposition entre les […]

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