C’était un cadeau de Noël qui traînait sur mon étagère. Et comme j’en ai reparlé récemment avec Jean-Marc (lecteur assidu et pertinent de ce blog), qui me l’a chaudement recommandé après son retour du Japon, je l’ai enfin lu.
« Eloge de l’ombre » est un essai sur l’esthétique de Jun’ichiro Tanizaki. C’est un bel essai, dont le style même emprunte à son sujet quelques caractéristiques. Il y est question de la place de l’ombre dans la culture et les imaginaires japonais. Tanizaki explique et fait sentir en quoi la culture japonaise valorise l’obscurité autant que la lumière, et la patine que les objets prennent avec le temps. On y découvre, de manière très superficielle, une manière de vivre et de penser très différente des nôtres. L’Occident est clairement une civilisation de la lumière, de la distinction, dans un régime « diurne », avec une dominante « posturale » (selon la classification de Durand). Le Japon est clairement une civilisation qui se trouve dans un registre emprutant beaucoup au régime nocturne, avec une dominante plus « digestive ».
J’avoue avoir été admiratif du style et de la concision, et saisi par une forme d’étrangeté. Ce que nous dit Tanizaki me semble éclairant, mais peut-être trop sur un registre purement esthétique. J’aurais aimé que cette approche esthétique déborde sur des réflexions plus générale sur la culture japonaise, sur les rapports humains dans la culture japonaise. Un peu sur ma faim, donc.
Un point d’étonnement, probablement lié à l’époque où ce livre a été écrit (1933) : on sent un auteur qui sans cesse fait référence à l’Occident pour définir par contraste une vision japonaise. Signe d’une civilisation chahutée dans son identité par la mondialisation naissante ? On peut lire cela, à l’inverse, et je privilégie cette piste, comme un effort de clarification tourné aussi vers les Autres, à l’instar de ce que proposait Philippe Nemo dans « Qu’est ce que l’Occident ?». Pour qu’un vrai dialogue intercivilisationnel soit possible, il faut un effort de part et d’autre, d’explicitation de ce que nous sommes. Tanizaki nous livre un reflet de l’approche japonaise.
Eloge de l’ombre
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Commentaires
2 réponses à “Eloge de l’ombre”
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Merci Lomig, j’attendais ton analyse sur ce livre avec impatience. Elle est très juste, comme toujours et elle ouvre sur des sujets effectivement peu abordés par l’auteur : les interactions interculturelles et intercivilisationnelles. (Le propos du livre est de « d’écrire » le beau…. « sculpter » l’ombre pour magnifier l’objet)…. Une phrase de l’auteur m’a particulièrement marqué : » Le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances divers »… Je me dis que cette approche pourrait être un point de départ pour décrire la beauté humaine (beauté au sens large, je ne parle pas de beauté physique)….. De mon cà´té c’est l’approche psychologique qui m’a manqué. En quoi la « pà¢te humaine » d’un japonais et d’un occidental est-elle différente ?
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merci pour ton commentaire. Oui j’aime bien aussi cette définition du beau comme un jeu de lumières/ombres. Tu m’avais évoqué le fait que saisir le beau chez quelqu’un reviendrait alors à savoir éclairer du « bon cà´té » et avec la « bonne lumière », cette personne. c’est une approche intéressante et ouverte sur une tolérance réelle.
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