En deux volumes « Les décisions absurdes », Christian Morel dresse un formidable panorama de la « sociologie des erreurs radicales et persistantes ».
Des biais individuels et collectifs…
Le premier est consacré à une analyse approfondie de certains accidents, notamment dans l’aviation, la marine ou encore les hôpitaux. Cela permet de comprendre les mécanismes individuels (il cite d’ailleurs les travaux d’Olivier Houdé, que j’ai découvert récemment) mais surtout collectifs qui sont à l’oeuvre pour que de telles décisions puissent être prises.
…et des meta-règles pour les éviter
Le deuxième volume montre les organisations – et surtout les processus – qui ont été mis en place dans les environnements à haute fiabilité pour contrer ces biais collectifs. Il y a des solutions, et elles sont de l’ordre des méta-règles : non pas des règles supplémentaires valables en toute circonstances, mais plutôt des grands principes qui permettent d’éviter les décisions absurdes. Si vous voulez les découvrir jetez-vous sur ces deux petits livres très bien écrits, dans un langage très loin de tout jargon, et dont le propos dépasse largement le strict champ des organisations à haute fiabilité, pour s’appliquer, à mon sens à tout type d’activité humaine complexe. Pour vous chers lecteurs, voici quelques-unes de ces méta-règles :
- Hiérarchie restreinte impliquée : dans certaines situations critiques ou à risque, il est important que le pouvoir de décision se déplace vers la base. Les décisions collégiales sont à privilégier
- Avocat du diable : pour une vraie culture du consensus, il est nécessaire d’éviter les pièges que sont les fausses unanimités et les faux consensus. Il faut pour cela privilégier la prise de parole, et favoriser les opinions qui critiquent le consensus
- Redondance des informations & interaction généralisée : les individus s’informent mutuellement de façon permantente, croisée et redondante. Cela sert aussi à l’apprentissage et à la socialisation
- Système de non-punition et d’apprentissage : pas d’apprentissage si l’on ne partage pas et si on n’analyse pas les échecs. Les remontées et le partage d’expériences anonymisés doivent être la règle pour étudier les mécanismes conduisant aux erreurs, et non rechercher les coupables.
Une véritable contre-culture à faire grandir
Pour finir, je laisse la parole à l’auteur, dans la conclusion, qui présenter l’ensemble de ces règles comme une véritable contre-culture :
[Ces méta-règles de lutte contre les décisions absurdes] vont à l’encontre de la pensée habituelle en matière de décision et d’organisation. C’est une contre-culture vis-à -vis à la fois de la doctrine classique en management, de la pensée politique courante et des croyances ordinaires du grand public. Notre culture est caractérisée par la priorité donnée à l’action rapide, alors que la haute fiabilité exige d’avantage de réflexion à travers le débat contradictoire, les retours d’expérience, la formation aux facteurs humains, la capacité à renoncer. Notre culture est imprégnée de l’idée que les erreurs doivent être sanctionnées et que les règles n’ont pas à être questionnées, alors que la culture juste de la fiabilité préconise la non-punition et le débat sur les règles. Notre culture est centrée sur le rôle du chef et la valorisation du consensus, alors que les fondamentaux de la fiabilité mettent l’accent sur la collégialité et les dangers des faux-consensus. Notre culture favorise une communication formée d’innombrables informations schématiques, alors que la fiabilité implique la mise en relief des messages essentiels. Notre culture est marquée par le principe de précaution, la possibilité du risque zéro, la foi dans l’hyperrationalité, alors que l’option opposée de solutions astucieuses et imparfaites se révèle souvent plus sûre et performante.
Christian Morel termine « Les décisions absurdes » en insistant sur le fait que ce ne sont pas les organisations qu’il faut changer, mais les processus. Intéressant, non ?
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