Le Talmud est la transcription écrite de la tradition orale d’Israël, du peuple juif. Le texte est particulièrement moderne dans sa forme puisqu’on y trouve des textes (qui correspondent à la partie fixée par écrit en premier, et qui constituent la Michna), avec des commentaires, positionnés autour (les discussions qui ont eu lieu autour de la Michna, et qui ont été fixées par écrit plus tard, et qui constituent la Guemara). Le Talmud – regroupement de la Michna et de la Guemara – est un recueil de textes, mais aussi de commentaires issus de plusieurs personnes, et constitue donc un appel à la réflexion, à la critique, au doute, au questionnement. Il est aussi quasiment incompréhensible sans une étude approfondie ; et c’est pourquoi il y a besoin, en tout cas pour les incultes comme moi, d’y être accompagné.
Les 4 lectures talmudiques d’Emmanuel Levinas sont une formidable manière de mettre un pied dans ce monde. Car c’est bien d’un monde dont il s’agit. Ces lectures ont été faites oralement lors de colloques d’intellectuels juifs de 1963 à 1966. La langue d’Emmanuel Levinas est magnifique, profonde et simple à la fois, précise sans être jargonneuse, et cela est très adapté à la découverte de la richesse du Talmud. A la richesse de la tradition talmudique, devrais-je dire, car sans ce travail énorme d’étude, de compréhension, d’analyse, d’émergence du sens, le Talmud ne vaudrait pas grand-chose et resterait bien silencieux.
La recherche de l’esprit par-delà la lettre, c’est le judaïsme même.
C’est un petit livre incroyable que ce recueil de « Lectures talmudiques ». On peut y suivre, pas à pas, la pensée d’Emmanuel Levinas. La structure de chaque lecture est la même à chaque fois : il fait la lecture d’un petit texte issu du Talmud (Michna et Guemara, thème et commentaires), puis le reprend point par point en l’éclairant, en le rendant compréhensible, en le reliant avec notre pensée, nos problématiques.
L’exercice est superbe : le texte du Talmud est proprement incompréhensible. L’analyse qui suit le rend lumineux, profond, complexe. Je ne saurais trop vous conseiller d’acheter ce petit livre. Je sais que je le relirai un jour. On y parle de pardon, de liberté, de Loi, de création, de justice, du Mal, de responsabilité, de la condition humaine ; et surtout on peut y sentir une culture (de Levinas ? des juifs ?) où la réflexion est toujours connectée avec la manière de conduire sa vie. Nous ne sommes pas là sur de vains questionnements métaphysiques ou philosophiques : il s’agit là de questions profondes, qui touchent nécessairement et interpellent ceux qui veulent penser leur vie.
Je précise pour finir, et pour ne pas vous prendre en traitre, que ce livre est difficile à lire. Difficile, car il faut accepter des zones d’ombres dans la compréhension, et accepter que celui qui nous livre sa lecture ne fait que sa propre interprétation. Pas de vérité universelle ici, mais vérité personnelle, réflexion à l’oeuvre. Pas de sens unique ici, mais sens multiples, questionnements, résonnances, analogies. Et c’est pour cela aussi que cette lecture a été si passionnante : cela a été difficile d’admettre pour moi que le sens ne peut naitre que de ce mélange subtil entre rationalité, émotions, étude, doute. C’est pourtant évident quand y réfléchit. Il y a du boulot, comme on dit. Le sens n’est pas à découvrir (il n’y a pas de sens absolu), mais à construire. Et pourtant, selon la phrase même de Levinas, le Talmud exprime aussi « la structure d’une subjectivité agrippée à l’absolu ». Qu’en pensez-vous ?
Laisser un commentaire