Le chef d’orchestre japonais


J’ai passé une demi-heure, il y a quelques temps, à me balader près du Trocadéro. Je me rendais à un groupe de travail, et j’étais arrivé, comme toujours, avec une avance confortable. Tellement confortable que les troquets n’étaient même pas encore ouverts. J’en ai profité pour faire un tour du côté des jets d’eau qui descendent du Trocadéro vers la tour Eiffel. Le jour se levait, et quelques balayeurs nettoyaient les détritus laissés là, la veille, par la foule amassée pour voir un concert (une scène était encore en place). La multitude laisse-t-elle nécessairement des monceaux de déchets derrière elle, mécaniquement, où est-ce le signe d’une population d’assistés qui préfèrent payer des balayeurs plutôt que d’amener un sac pour y placer ses ordures ?

Quoi qu’il en soit, le paysage était splendide, et les passants très rares. L’air frais était agréable. L’activité des garçons de café pour installer les terrasses était pleine de joie, cette joie de l’attente « avant« . Le potentiel de la journée encore plein, mais déjà vibrant et riche de promesses.

J’ai croisé en remontant vers la place du Trocadéro un homme, de type japonais. Il marchait tranquillement, la tête tournée vers le sol, Il faut placer dans chaque être humain toute la richesse de l’humanitédans une attitude sereine. Il avait un beau visage, la quarantaine, et tout dans son être respirait la bonté et la profondeur d’âme. Un bel humain, comme on en croise de temps en temps. Je me suis dit que ce pouvait être un chef d’orchestre japonais, en vacances à Paris (ses tongues et sa tenue décontractée m’ont influencée, bien sûr). J’en ai ressenti une forme de respect et de curiosité à son égard. Je lui faisais spontanément confiance.

Aussitôt, je me suis fait la réflexion suivante : pourquoi juger (ici, en positif) cette personne sur son apparence ? Moi qui fais des efforts régulièrement pour ne pas juger négativement ceux qui ont des têtes franchement antipathiques, pourquoi le faire dans l’autre sens ? N’est-il pas plus juste de laisser son jugement en suspens tant qu’on ne connait pas un peu la personne ? L’habit ne fait pas le moine, ni le chef d’orchestre. Celui-ci, de chef d’orchestre, était peut-être en fait un sale con, qui cogne ses enfants, raciste comme pas deux, sectaire comme un poux.

Mais je crois que j’avais raison, tout de même : il faut placer dans chaque être humain, et tant que ses actes ou ses paroles ne nous ont pas convaincu du contraire, toute la richesse de l’humanité. Chaque personne que nous croisons mérite d’être considérée comme un être bon, généreux, profond, sage, pacifique. Les humains sont fait aussi pour cela. C’est quand nous préjugeons en négatif que nous avons tort ; en positif, c’est simplement de la confiance placée en l’autre qui rend la relation possible, et la place sous un jour favorable.

Il faut voir dans chaque humain un chef d’orchestre japonais.


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