La Marseillaise a été sifflée, il y a peu. J’ai été étonné du peu de réactions mettant en avant la notion de responsabilité. Il ne s’agit pas ici de désigner des coupables, mais d’établir clairement les responsabilités, pour essayer d’éviter ce genre de spectacles affligeants. Je n’ai pas de réponse à apporter, mais quelques questions qui me paraissent importantes…Pour en discuter !
Je précise en ouverture que je n’ai aucun goût particulier pour la Marseillaise, ni pour les matchs de foot amicaux – je croyais qu’ils l’étaient tous, amicaux ! -. J’aime bien regarder à l’occasion un bon match de foot, ou d’un autre sport d’ailleurs, mais j’y mets plus d’esthétique que de nationalisme primaire. Je suis un très mauvais supporter, et je reconnais généralement facilement que celui qui gagne est le meilleur. Je crois utile de préciser, également, que ceux qui se servent d’un spectacle pour y glisser du conflit me paraissent être des abrutis, qui jouent un jeu dangereux.
Rappel à propos de la responsabilité
La responsabilité est le troisième pilier des fondements éthiques du libéralisme : liberté, propriété et responsabilité. Rappelons les principaux traits caractéristiques de la responsabilité :
- La responsabilité se définit dans l’action, à partir d’actes particuliers, et pas d’une manière générale.
- Elle n’est pas du tout synonyme de culpabilité (qui est de l’ordre du jugement de valeur).
- La responsabilité clairement établie implique la définition préalable des droits.
Comme nous l’avons déjà vu, être responsable c’est subir les conséquences de ses actes et dédommager autrui des atteintes éventuelles à leurs droits légitimes. Il en résulte que, à la limite, dans une société libre, la notion de faute reste confinée à ce qu’elle doit être : une notion subjective et personnelle. Mais, du point de vue du fonctionnement de la société et de l’exercice de la responsabilité, il importe peu qu’il y ait eu intention de nuire ou pas. La seule exigence sociale consiste à faire respecter les droits de chacun, c’est-à -dire à considérer les hommes comme responsables. La faute, pour sa part, constitue un concept purement subjectif et moral. Cela ne veut pas dire que la faute n’existe pas, mais simplement que nous n’avons pas les moyens de l’apprécier, ni même sans doute le droit de la juger de l’extérieur. On peut même estimer que le principe de responsabilité pour faute a un aspect totalitaire à la limite puisqu’il consiste à sonder les reins et les coeurs. […] On ferait un grand progrès dans la compréhension et dans l’action, si l’on se donnait pour discipline de toujours se demander: « Qui, dans chaque cas concret, est responsable et vis-à -vis de qui ? »
Pascal Salin
Application à l’affaire de la marseillaise sifflée
Refusons de juger sur la base d’abstractions collectives, mais en termes de droits légitimes, et de responsabilité. Ce n’est pas en cherchant des coupables, que l’on résoudra ce genre de problèmes. C’est par la définition des responsabilités de chacun, a priori. Cela servira pour la prochaine fois.
Jusqu’à preuve du contraire, siffler n’est pas une atteinte aux droits d’autrui, surtout dans un stade où certains beuglent comme des veaux. Vouloir arrêter un match pour cette raison est ridicule, comme l’a rappelé Eolas :
C’est donner à des imbéciles un pouvoir de nuisance exceptionnel. Or les imbéciles raffolent de ça. à‡a ne risque donc pas de les décourager.
Ceux qui sifflent sont responsables de leurs actes. Mais vis-à -vis de qui ? Se sont-ils engagés vis-à -vis de quelqu’un à rester silencieux pendant l’hymne ? A quels droits légitimes ont-ils porté atteinte ? Le fait de savourer l’hymne national en silence – et en chantant – fait-il partie des droits légitimes des citoyens ? Non, bien sûr. Il me semble utile de se demander qui est propriétaire du stade (donc en mesure d’exiger tel ou tel comportement conforme à un règlement intérieur) pour aller un peu plus loin dans la réflexion.
Le Stade de France est géré par « Consortium Stade de France », qui est le concessionnaire pour 30 ans. Le propriétaire est l’Etat Français.
Le concessionnaire est donc responsable devant les chaines télé de la qualité du spectacle qu’il leur vend. Le jour où les chaines télé ne paieront plus pour le spectacle (si elles jugent que les sifflets font chuter leur audience), alors celui qui gère le stade fera peut-être appliquer certaines règles de comportements aux spectateurs. En payant les services d’ordre nécessaires à les faire appliquer. Le jour où les stades seront déserts, parce que de sombres idiots auront rendu tout spectacle impossible, peut-être que les gestionnaires du stade se poseront des questions. Les stades anglais ont bien réussi à débarrasser leurs tribunes de la présence des hooligans, pourquoi le Stade de France ne pourrait pas faire la même chose chez lui ?
Les racines du mal
Ensuite, et à côté de cela, il y a ce que montrent ces sifflets. Je n’y reviens pas, tout à déjà été dit par d’autres, et mieux que moi. Le rejet de l’identité française par une partie de la population sera-t-il résolu par la suspension d’un match de foot ? Non. Les sifflets n’en sont que l’expression. Comme je l’ai lu sur Gauche Libérale, le respect ne se commande pas, il se mérite :
Or le respect ne peut pas s’exiger. Il ne peut que se mériter. On mérite le respect, on est digne de respect, on inspire le respect mais on n’exige pas le respect.
Si on en vient à exiger le respect c’est très probablement parce qu’on ne l’inspire pas.
Ce n’est pas pour rejeter la responsabilité sur l’Etat français que je cite cette phrase, c’est simplement pour dire qu’il est étonnant de vouloir imposer le respect. Le seul respect à imposer, pour le conserver, c’est celui du droit. Lutter contre les zones de non-droit, lutter contre l’analphabétisation des enfants et la mauvaise connaissance du français, voilà des moyens plus sérieux d’imposer le respect de la « Nation » (quelqu’un a une définition ?) que de mettre tout le monde au garde-à -vous pour la Marseillaise.
Les plus aigris diront que de toute façon, le spectacle sportif est une excroissance sublimée des nationalismes et du sentiment guerrier, et qu’il est inévitable que de telles choses se produisent. Je ne suis pas de cet avis : le sport peut aussi être un simple spectacle, mettant en avant les capacités de l’être humain à faire des merveilles avec son corps, à se surpasser.
Mais pour cela, il faut être capable de virer des stades ceux qui le vivent comme une sorte de pseudo champ de bataille : hooligans ou siffleur, même combat ! Leur idiotie n’a qu’une conséquence : empêcher la majorité des spectateurs – pacifiques – de profiter du spectacle dans une ambiance détendue. S’il y a une atteinte, en l’occurrence, à des droits légitimes, ce serait bien l’atteinte faite par le Stade de France aux spectateurs ayant payé leur place, et étant en droit de considérer que le Stade de France doit les accueillir dans de bonnes conditions. Ils n’ont qu’à demander à se faire rembourser, si préjudice il y a.
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