Chapitre premier : « Raison et évolution »
Les limitations permanentes de notre connaissance des faits
La façon de voir constructiviste conduit à des conclusions fausses parce que les actions de l’homme réussissent largement — non pas seulement au stade primitif mais plus encore sans doute au stade de la civilisation – grâce au fait qu’elles sont adaptées à la fois aux faits particuliers que l’homme connaît et à un grand nombre d’autres faits qu’il ne connaît ni ne peut connaître. […] cette inéluctable ignorance de la plupart des données qui entrent dans l’ordre de la Grande Société[1. D’après ce que j’ai compris, la « grande société » d’Hayek est proche de la société ouverte décrite par Popper dans « La société ouverte et ses ennemis »] est la racine du problème central de tout ordre social ; la fiction par laquelle cette ignorance est provisoirement mise de côté n’est la plupart du temps jamais explicitement abandonnée, on se contente de la passer sous silence. Après quoi, le raisonnement suit son chemin comme si cette ignorance n’avait aucune importance.[…]
Ce sera l’une de nos thèses principales, que la plupart des règles de conduite qui gouvernent nos actions, et la plupart des institutions qui se dégagent de cette régularité sont autant d’adaptations à l’impossibilité pour quiconque de prendre consciemment en compte tous les faits distincts qui composent l’ordre d’une société. Nous verrons en particulier que la possibilité de la justice repose sur cette limitation inéluctable de notre connaissance des faits et que, par conséquent, la compréhension profonde de la nature de la justice est refusée à tous les constructivistes qui raisonnent habituellement à partir d’une présomption d’omniscience. […] L’erreur caractéristique des rationalistes constructivistes est, à cet égard, qu’ils ont tendance à fonder leur raisonnement sur ce qui a été appelé l’illusion synoptique, c’est-à -dire sur cette fiction que tous les faits à prendre en considération sont présents à l’esprit d’un même individu et qu’il est possible d’édifier, à partir de cette connaissance des données réelles de détail, un ordre social désirable.
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