Retour sur la distinction entre libéralisme économique et libéralisme politique. Quelles sont les différences ? Une rapide recherche fait tomber sur un article très intéressant et précis de François Guillaumat. Qui définit le libéralisme économique, et montre ses liens forts avec la philosophie politique libérale.
En parcourant un article du Chafouin, critique à l’égard des effets de girouette idéologique de Ségolène Royal, j’ai noté qu’il faisait la distinction entre « libéralisme politique » et « libéralisme économique ». J’attribuais, un peu « au nez », cette distinction aux adversaires du libéralisme, qui pouvaient ainsi s’affirmer dans un même mouvement comme épris de liberté (pour « libéralisme politique »), et anti-capitalistes et anti-« laissez-faire » (contre le « libéralisme économique »). Et je pensais, donc, que c’était une fausse distinction, le libéralisme économique n’étant que la conséquence naturelle du libéralisme politique.
Mais avant d’affirmer cela, je me suis dit qu’il serait bien, plutôt que d’affirmer encore une fois mes croyances, d’aller me renseigner un peu sur le oueb.
Comme souvent, on clique machinalement sur les liens vers les articles de Wikipedia. Celui sur le libéralisme économique est plus historique que philosophique, et ne permet pas vraiment de savoir ce qu’est le « libéralisme économique ».
Mais très vite, on tombe sur un superbe texte de François Guillaumat sur Liberpedia : Libéralisme économique. Cet article est repris en partie sur Wikiberal.
Libéralisme politique et libéralisme économique
François Guillaumat commence par décrire la différence entre libéralisme politique et libéralisme économique. Selon lui, le libéralisme « politique » est avant tout une réflexion sur les institutions ; il ne faut pas le confondre avec la philosophie politique, « qui se soucie d’abord de définir la justice après étudié la nature des rapports entre les hommes et leurs productions, et bien avant de s’interroger sur les conditions politiques qui pourraient lui permettre de régner ». François Guillaumat laisse donc là le libéralisme politique, pour parler du libéralisme économique.
Nous allons voir que le libéralisme économique est plus proche de la philosophie politique, puisqu’il porte constamment sur le même objet. Mais il ne se confond pas pour autant avec elle ; on peut même dire que le libéralisme économique n’existe pas en tant que discipline intellectuelle, comme existent la science économique et la philosophie politique. Le « libéralisme économique » est plutôt un mouvement ou plutôt une tradition telle que l’histoire des idées politiques peut la décrire. Et si on l’appelle « économique », c’est parce qu’il est principalement mené par des économistes et inspiré par la science économique, même si ce ne peut être que par le truchement crucial d’un jugement de valeur.
Selon Guillaumat, donc, le libéralisme économique est la philosophie politique libérale qui sert de fondement aux réflexions du libéralisme politique. Ils sont donc articulés dans le sens inverse de ce que j’avais en tête. Le libéralisme politique est l’organisation institutionnelle que l’on peut construire en se basant sur les connaissances issues du libéralisme économique (ou philosophie politique libérale). Ils peuvent donc difficilement être en opposition. Ne pas les confondre est important – peut-être – mais les opposer est clairement une méconnaissance des concepts, ou une volonté de tromper sur le sens des concepts.
Une fois cette distinction faite, François Guillaumat décrit les rapports entre science économique et libéralisme politique. En trois points :
- Tout acte juste est créateur, tout acte injuste est pure destruction
- Pourquoi tant de libéraux sont économistes
- Dénaturer les concepts politiques normatifs est l’arme numéro 1 du socialisme pseudo-démocratique
Je vous propose lire ici quelques citations de ce texte finalement assez court, pour suivre son raisonnement ; je ne peux que vous conseiller d’aller le lire vous-même en entier : c’est un petit bijou de concision et de clarté.
Enoncé normatif et énoncé descriptif du libéralisme économique
Le Libéralisme économique n’existe donc pas en tant que doctrine distincte, mais traduit seulement deux convictions des économistes à condition qu’ils soient compétents :
- un énoncé normatif emprunté à la philosophie : il est bon de créer et mauvais de détruire ;
- un énoncé descriptif issu de la science économique proprement dite, en ce qu’elle se rapporte à sa raison d’être : la violence est pure destruction, de sorte que la violence ne peut servir la création que dans la mesure où elle s’oppose à une autre violence qui est, elle, destructrice.
La vraie démocratie, c’est le marché !
Le « libéralisme économique » rejoint évidemment à ce titre le corps central de la philosophie politique libérale dans sa définition d’un acte violent comme privant un autre de ce qu’il possédait, c’est-à -dire de ce dont il disposait pour servir ses projets.
Une arme essentielle de la sophistique étatiste consiste à dénaturer cette définition, pour rationaliser la violence prédatrice des hommes de l’état :
- en cherchant à la faire passer pour « non-violente » : ce sont le mythe d’un contrat social distinct des contrats réellement conclus qui constituent la société civile, et le mythe de la représentation qui appartient à la religion pseudo-démocratique et socialiste, et au prétexte duquel les puissants parlent et agissent comme s’ils avaient le Droit de décider de tout à la place des citoyens, sous prétexte que les élus les « représentent », comme si leur « droit de vote » valait ce que les hommes de l’état leur volent sous ce prétexte. La réalité est au contraire que le prétendu pouvoir que donne le bulletin de vote est en fait infinitésimal, en pratique imperceptible — c’est pourquoi les spécialistes parlent de l’ »irrationalité du vote », alors que le vote quotidien, incessant sur le marché, l’exercice permanent de sa souveraineté par le citoyen en tant qu’acheteur et vendeur est à 100 % efficace, parce que chacun y obtient exactement ce qu’il veut dans la mesure du possible, d’abord pour lui-même parce qu’il repart avec ce qu’il a réellement choisi, et pour la société parce qu’il y influence les procédures de décision dans la mesure exacte de l’enjeu que cela représente pour lui.
L’objection comme quoi la pseudo-démocratie socialiste serait juste parce qu’elle serait « égalitaire » énonce le contraire exact de la vérité : la seule égalité réalisable est l’égalité politique : que personne ne s’impose à personne, de sorte que personne ne dispose de personne contre sa volonté, ne s’en serve comme d’un instrument ou d’un esclave ; or, cette égalité-là , la seule qui soit conforme à la justice, ses soi-disant « représentants » la violent systématiquement en usurpant le pouvoir de décision des citoyens, et son socialisme en instituant des castes de parasites sociaux aux dépens de producteurs contraints de les entretenir.
La vraie démocratie, c’est le marché : le « peuple » ne peut vraiment décider que lorsque chacun des citoyens décide effectivement lui-même de tout ce dont il est humainement possible de décider directement. Par conséquent, tout progrès de l’étatisme usurpe le pouvoir des citoyens et détruit la démocratie : le socialisme est incompatible avec la démocratie réelle définie par le seul principe qui puisse la justifier : que chacun a le Droit de décider des affaires qui sont les siennes.- en reconnaissant la violence du pouvoir d’état mais en la prétendant « réparatrice », c’est-à -dire en faisant passer pour des « agresseurs » ceux qui ne le sont pas, afin d’empêcher qu’on reconnaisse et combatte comme tels ceux qui le sont : l’étatiste pseudo-conservateur accusera de « concurrence déloyale » des offreurs qui n’emploient ni la force ni de la tromperie, et le marxiste parlera sans preuve d’ »exploitation capitaliste » ; les deux parleront d’ »abus de position dominante » : tous faux concepts sophistiques et mensongers, dont la seule raison d’être est de falsifier l’interprétation morale d’un exercice paisible du Droit de propriété, pour pouvoir violer plus facilement ce dernier.
Tous ces faux raisonnements ne changent rien au fait qu’on n’est pas un voleur quand on n’est pas un voleur alors qu’en revanche, on est un voleur quand on est un voleur — et l’étatisme, c’est le vol.
On devient libéral en apprenant l’économie
Cette correspondance entre acte juste et acte productif, entre injustice et destruction, explique que l’économiste compétent qui n’est pas libéral est un cynique, ou alors déteste ses semblables. Elle peut aussi expliquer pourquoi la plupart des libéraux sont économistes : il est vrai que tout grand philosophe qui a su réfléchir aux notions de création, de violence, de destruction, de consentement, de responsabilité, est capable de retrouver la propriété naturelle comme critère ultime de justice ; cependant, tout philosophe n’est pas assez grand pour cela, et c’est au moins le cas de tous ceux qui sont tombés dans les pièges de la sophistique étatiste, parce qu’elle leur présentait une causalité sociale fausse qu’ils n’avaient pas appris, comme ils l’auraient dû, à démasquer comme telle — un exemple en est la « Doctrine sociale de l’Église », dont les inventeurs ont postulé des relations causales qui n’existent pas tout en en méconnaissaient d’autres qui, elles, existent. De sorte que, dans la pratique, la plupart des gens deviennent libéraux en apprenant la science économique :
- parce que celle-ci donne d’abord l’occasion de se rendre compte que certaines politiques ou institutions de l’étatisme n’ont pas l’effet que leur prêtent leurs partisans, mais le plus souvent un effet inverse — par exemple elles volent les pauvres au profit des riches alors qu’on prétend et qu’on croit le contraire ;
- ensuite, parce qu’elle permet de démontrer qu’aucune de ces politiques et institutions ne peut avoir l’effet que leur prêtent, ou font semblant de leur prêter, ceux qui les approuvent — notamment parce que l’argent public finit toujours dans des poches privées, et que la redistribution politique est toujours faite par les puissants, aux dépens des faibles ;
- enfin, ayant entrepris de lire les auteurs qui affirmaient cela depuis des lustres, on finit par trouver les raisonnements qui rappellent que si ces politiques, si ces institutions étatistes ne peuvent pas faire ce que tout le monde croit « bien » et ne font que le « mal », c’est parce qu’elles sont injustes, c’est-à -dire délictueuses et criminelles.
[…]
Ces deux faits : que tout emploi agressif de la force est pure destruction, sans aucun profit réel pour personne, et que la plupart des gens qui s’opposent à l’injustice sont ceux qui ont compris cela, explique que persiste la notion du Libéralisme économique comme doctrine — alors qu’en tant que mouvement politique celui-ci n’a pas de pensée distincte de la philosophie politique libérale, et qu’en outre celle-ci peut logiquement se passer de lui même si, en pratique, on voit bien que seuls les grands philosophes y parviennent.
La notion de consentement
Guillaumat rappelle pour finir, qu’on ne saurait avoir une conception valide du consentement sans avoir définit proprement la notion de propriété.
On remarquera que le sophisme de la pseudo-« démocratie représentative », de même que celui de la « justice du socialisme », dénaturent l’un et l’autre la notion de consentement, pierre angulaire du raisonnement normatif en droit comme en économie : l’un et l’autre postulent son existence là où il ne peut pas y en avoir, c’est-à -dire en dehors des deux conditions sans lesquelles il n’a pas de sens :
- un acte effectif de la pensée qui acquiesce à la décision et
- un objet concret sur quoi cet acte puisse légitimement porter, c’est-à -dire une propriété dont vous ayez le Droit de disposer, et dont l’usage que vous en faites ait des conséquences réelles pour vous.
Contrairement à toute une tradition absurdiste d’ »unanimité » au sens collectiviste, celle où tout le monde devrait demander la permission à tout le monde pour faire quoi que ce soit, je ne peux pas « consentir » à ce qu’un autre fasse ce qu’il veut de ce qui est à lui, parce que je n’en ai pas le Droit. De même, je ne saurais « consentir » à ce que d’autres fassent ce qu’ils veulent avec ce qui n’est pas à eux, comme l’implique le prétendu « droit de vote » de la pseudo-démocratie socialiste, parce que ni moi ni eux n’en avons le Droit.
Toute conception valide du « consentement » dépend de la notion de propriété, de sorte que toute notion d’ »unanimité » qui n’établit pas au préalable qui a le Droit de consentir et à quoi, est un tissu de contradictions qui produit automatiquement la confusion et l’arbitraire.
Superbe et simple. Et cela pose beaucoup de questions dans un contexte où le démocratisme est le cadre de pensée de la plupart. Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que Guillaumat va trop loin ? Pensez-vous qu’il ne fait qu’énoncer des choses justes ?
En faisant des recherches sur ce thème, je suis rapidement tombé sur le mot « néolibéralisme », qui semble être le terme choisi par les adversaires du libéralisme comme cible prioritaire. Le néolibéralisme, ennemi numéro 1 ? Pas si sûr. Nous le verrons dans un prochain article.
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