Engagement citoyen. Mouvement citoyen. Blog citoyen. Autant d’expressions qui sonnaient creux à mon oreille. Comme toujours pour vérifier le sens des mots, le dictionnaire est d’une aide précieuse. Internet aussi, d’ailleurs, car on y trouve beaucoup d’articles de bonne qualité. Retour sur la dérive de sens du mot citoyen, et – au passage – découverte d’un super blog linguistique. Conclusion : ces expressions sont bien des galimatias, dont le sens réel les rapprochent d’évidences banales, ou d’antiphrases involontaires (exprimant le contraire du sens littéral).
Avez-vous remarqué la très forte recrudescence du mot « citoyen » depuis quelques années ? J’ai toujours ce mot un peu ridicule, parce que j’associe l’idée de « citoyen » à « tout membre d’un pays ». Tout français est « citoyen » français. Pour comprendre ce que peux bien vouloir dire « mouvement citoyen » ou « blog citoyen », je suis donc allé voir dans le dico. Première constatation : le mot « citoyen » n’existe pas en tant qu’adjectif ! Un « mouvement citoyen » ne signifie donc rien…sauf dans la tête de celui qui choisit ce nom. Voyons donc la définition du nom citoyen (je laisse de côté les sens du mot reliés à une époque bien précise (antiquité, révolution française, constituante de 1791) :
Membre d’une communauté politique organisée.
A. [l’accent est mis sur les droits attachés à la qualité de citoyen]
- Usuel. Membre d’un État et qui de ce fait jouit des droits civils et politiques garantis par cet État.
- Membre d’un Etat démocratique. Anton. sujet
- [pour désigner la nationalité] Citoyen (de) …
- Habitant d’une ville, d’une cité
- P. ext. Membre d’une communauté politiquement envisagée. (Citoyen de l’Europe, citoyen du Monde)
B. [L’accent est mis sur les devoirs] Celui, celle qui respecte les libertés démocratiques.
- Celui qui a rendu de hauts services à l’État.
- Celui qui, au service de l’État, poursuit le bien de tous avant le sien propre.
En cherchant un peu, on trouve que l’adjectivation du mot existe, et est controversée. C’est Alain Rey qui a effectué cette adjectivation, dans son Dictionnaire Culturel en Langue Française (1995). Il remplace plus ou moins l’adjectif « civique » :
Cet emploi tend à insister sur la connotation morale, républicaine et partisane. Ainsi, une démarche civique serait de remplir ses devoirs de citoyen (droit de vote, par exemple), quand une démarche citoyenne afficherait une volonté d’intégrer dans ses actes des considérations éthiques et des finalités ou des solidarités sociales et civiques, de s’impliquer dans la vie de la collectivité.
En fouillant encore un peu plus, je suis tombé sur cet excellent article, dédié au mot « citoyen ». Je vous conseille d’aller le lire, on y trouve ce que je voulais dire, en mieux dit…! Par exemple :
Le grand discriminant, c’est l’emploi du nom citoyen comme adjectif dans les exemples que l’on entend tous les jours : mesure citoyenne, loi citoyenne, projet citoyen, comportements citoyens, avenir citoyen, décision citoyenne, association citoyenne, etc. Ce nom devenu adjectif est le plus efficace des révélateurs : il vaut le papier tournesol des TP de chimie. Si les crétins étaient une entreprise, on dirait que citoyen adjectif est leur logo. Il est le sceau de l’imbécile idéologie cul-bénit, gnangnan, bien pensante de la télé publique, des associations lucratives sans but, du show-biz, des milliardaires du sport spectacle, des Lang, Chazal ou Royal.
et puis :
Autrement dit, ce que les modernes ressuscitent dans leur langue ultramoderne et du dernier cri, quand ils sont intarissables sur leurs projets citoyens ou sur la citoyenneté de leurs associations lucratives sans but, ce sont des antiphrases, c’est-à -dire un mot entendu dans le sens contraire de celui dans lequel il est reçu dans la langue. Ils font de l’ironie sans même s’en rendre compte. L’ironie des adjectifs citoyens est effacée. Aveuglés par leurs manies idéologiques, ils ne la perçoivent même pas. A ce qui était dissidence ou mise à distance, ils substituent la soumission affichée à l’ordre frelaté de la bonne pensée bien pensante. L’emploi adjectif de citoyen sent la dévotion, comme le soi-disant roi citoyen, qui croyait flatter les gens du peuple en leur faisant accroire que le descendant des Orléans, n’était pas différent d’un boutiquier. Non seulement l’adjectif citoyen s’emploie à tout propos, même à propos de rien, mais encore il a peu à peu éliminé de l’usage le nom citoyen. Le « membre d’une communauté politique organisée » disparaît au profit du soumis, docile et gogo. On se croit rebelle, on donne ces gages à chaque instant à l’ordre nouveau. Si le nom est devenu désuet, c’est que les citoyens ont perdu toute raison d’être, étant peu à peu dépouillés de leur souveraineté ou de leur capacité à agir, et n’étant plus que de dociles consommateurs, un peu serviles et silencieux. Dans ces conditions, il est normal que l’adjectif triomphe et que tout projet soit citoyen, puisqu’il a été décidé qu’aucun citoyen n’y contribuerait. L’adjectif est un leurre ou un cache-misère. Ce qui est qualifié de citoyen, c’est ce qui se projette, s’applique, se décide, s’instaure à l’insu des citoyens et sans leur consentement ou contre leur volonté.
Bien envoyé ! Au passage, je vous conseille d’aller faire un tour sur ce blog Nouvelle Langue Française, on y trouve un remarquable petit document à télécharger « Parler le bien pensant« . Excellent ! Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner deux en exemple :
Police
Police = fascisme. La police étant fasciste (ajoutez « par essence »), elle est donc raciste. Pas de police française dans les quartiers métissés et en difficulté. Il faut des policiers métissés dans ces quartiers.
Ratonnades
Tonner contre les ratonnades dont étaient victimes les Algériens entre 1954 et 1962. Les approuver quand les Français en sont victimes dans les banlieues ou quartiers ou cités en difficulté.
Bonne lecture à tous les citoyens !
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