Citation #58

Il est aisé de deviner le rôle que le gouvernement s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable. « Car, dira-t-il, n’est il pas bien naturel et bien juste que l’Etat contribue à  une oeuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire? »

Première injustice : faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je?), il s’avisera de fondre toutes les associations en seule soumise à  un règlement uniforme. Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution, quand la caisse sera alimentée par l’impôt; quand nul, si ce n’est quelques bureaucrates, n’aura intérêt à  défendre le fond commun; quand, chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre une maladie ne sera autre chose que jouer un bon tour au Gouvernement? […]

Bientôt qu’arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’il administrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à  peu, il s’accoutumeront à  regarder le secours en cas de maladie et de chômage non comme provenant d’un fond limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société. Ils n’admettront pas pour elle, l’impossibilité de payer et ne seront jamais contents des réparations. L’état se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là , rencontrant l’opposition des commissions des Finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissants, comme c’est l’usage, jusqu’à  ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à  compter avec une population qui ne sait plus agir par elle même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à  la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice.

Frédéric Bastiat, 1850, à  propos des caisses privées de l’époque


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Commentaires

  1. Avatar de georges

    L’irrationalité foncière du marché

    Il y a en fait bien d’autres choses que les (néo)libéraux ignorent ou, du moins, feignent d’ignorer à propos du marché. Tout simplement parce que, comme tout bons fétichistes qu’ils sont, ils concentrent leur attention sur le résultat (les produits du travail humain dans leurs rapports marchands réciproques) en omettant de scruter et d’analyser les processus producteurs de ce résultat, en l’occurrence les rapports de production qui sous-tendent le marché et qui rendent compte de son existence et de ses limites foncières.

    Ainsi commencent-ils par omettre et occulter que le marché présuppose, tout à la fois, la propriété privée des moyens de production et la fragmentation du procès social de production, de l’activité économique de la société dans son ensemble, en une myriade de procès de travail privés (les différentes entreprises indépendantes ou capitalistes), résultant d’initiatives et d’activités individuelles ou collectives non coordonnées les unes avec les autres et s’opposant dans et par la concurrence, chacun produisant dans son coin en portant le produit de son travail sur le marché en espérant pouvoir l’y vendre.

    La production sociale ne répondant ainsi à aucun plan d’ensemble, cela ne peut aboutir qu’à des déséquilibres sur le marché (ce qui correspond aux crises, sectorielles ou générales, conjoncturelles ou structurelles), se traduisant selon le cas par des pénuries ou par des excès d’offre, que le marché est certes en état de rééquilibrer mais en vouant régulièrement une partie de la production sociale à la destruction et une partie des producteurs à la ruine, et en installant en définitive un régime d’insécurité économique et sociale permanent (cf. Insécurité).

    Ainsi tout marché et sa prétendue « rationalité harmonieuse » reposent-ils fondamentalement sur l’aliénation des producteurs : sur la perte de leur maîtrise de leur propre produit, du produit de leur propre activité, qui non seulement leur échappe mais peut se retourner contre eux pont- les réduire à la misère. Autrement dit, derrière et dans la pseudo-rationalité du marché se manifeste l’irrationalité de rapports de production dans lesquels le produit commande au producteur et les choses autonomisées sous forme de marchandises, d’argent et de capital dominent les hommes. Et c’est cette irrationalité qui donne naissance au fétichisme du marché dont les penseurs néolibéraux sont les grands prêtres.

    L’occultation du capital

    L’occultation libérale des rapports de production ne s’en tient pas là. L’exaltation libérale des vertus de « l’économie de marché » omet encore de signaler que celle-ci ne se définit pas seulement par le fait que la plus grande part, qui va d’ailleurs en s’accroissant, du produit du travail social prend une forme marchande, devient marchandise pour s’échanger sur le marché ; mais encore par le fait que ce sont aussi et surtout les conditions mêmes de la production qui sont devenues marchandises : tant ses conditions matérielles (les moyens de production : la terre et les richesses naturelles, les outils et les machines, les infrastructures productives socialisées, etc.) que ses conditions humaines (les forces de travail, les capacités physiques, morales et intellectuelles que les hommes peuvent investir dans leurs activités productives).

    Or la condition même pour que forces de travail et moyens de production deviennent eux aussi des marchandises est que les deux aient été séparés l’un de l’autre, de fait et de droit. Autrement dit que les producteurs aient été expropriés : qu’ils aient été privés de toute propriété et possession de moyens de production, réduits à l’état d’individus dépourvus de toute propriété économique hormis celle de leur force de travail ; tandis que, inversement, les moyens de production, bien que produits du travail social dans son ensemble, leur font désormais face comme propriété privée d’une minorité de membres de la société. C’est de cette situation d’expropriation seule que peut naître la nécessité pour les uns de vendre leur force de travail et la possibilité pour les autres de la leur acheter. Et d’en user, c’est-à-dire de l’exploiter, à des fins de valorisation de leur capital.

    Ainsi ce que masque l’apologie (néo)libérale de « l’économie de marché », mettant unilatéralement l’accent sur la circulation des marchandises et sa prétendue rationalité, c’est l’expropriation des producteurs qui est la condition même du capital comme rapport de production et de la transformation de la majeure partie du produit du travail social en marchandises. L’irrationalité foncière de cette « économie de marché » ne tient pas seulement au fait que les producteurs y perdent en permanence la maîtrise de leurs produits, dont la ronde infernale les menace constamment de ruine ; mais encore, et plus fondamentalement, au fait que l’immense majorité des producteurs y ont déjà perdu la maîtrise de leurs propres moyens, de production, qui servent dans les mains d’autrui comme moyens de leur domination et de leur exploitation. Là encore, le produit domine le producteur, le travail mort (passé, matérialisé dans les moyens de production) exploite le travail vivant (les dépenses actuelles de forces de travail).

    Le fétichisme (néo)libéral du marché est donc une religion barbare dont le dieu caché, jamais dénommé comme tel par lui parce que tabou, n’est autre que le capital. Une religion qui exalte la soumission (pouvant aller jusqu’au sacrifice) des hommes aux produits de leur propre travail, ainsi que l’exploitation (pouvant aller jusqu’à la mort) du travail des hommes par l’intermédiaire des résultats antérieurs de leur travail sur lesquels ils ont perdu toute maîtrise. Une religion qui exalte le vampirisme du capital – cette divinité pétrifiée dans des objets (des moyens de production et des moyens de consommation) ainsi que des signes (des signes monétaires, des titres de crédit et de propriété) – qui exige pour rester en vie d’absorber en permanence le travail de centaines de millions d’hommes et de femmes qu’il exploite de par le monde, tout en en vouant bien plus encore à la pauvreté, à la misère et cri définitive à la mort, parce qu’il n’a pas la nécessité ou la possibilité de les employer (donc de les exploiter), tout en les privant (les expropriant) de toute capacité à produire par eux-mêmes de quoi satisfaire leurs besoins vitaux.

    Avec toutes mes amitiés.

  2. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    salut Georges,

    je ne suis pas sûr d'avoir bien compris tout ton commentaire. Deux remarques cependant :

    1. Je ne suis pas fétichiste, ni religieux. Je décris juste des idées qui me paraissent justes, et simples. Si j'exalte quelque chose, ce n'est pas le marché, c'est la liberté individuelle respectée. Le marché est un lieu d'échange libre. En cela, il amène une solution à beaucoup de problèmes.
    2. L'expropriation est bien justement ce contre quoi les libéraux se battent : ils défendent la propriété privée (qu'elle soit matérielle ou pas) contre toute forme de "vol" par la contrainte. Ils distinguent, à cet effet, l'appropriation par le don ou l'échange (mode d'échange libre), et l'appropriation par la contrainte (vol). Il n'en existe pas d'autres. Un échange commercial librement consenti est légitime. Cela constitue une création de richesse pour les deux parties : sans cela, et du fait même qu'ils font cet échange librement, il (l'échange) n'aurait pas lieu !

    à bientôt, et merci pour ton commentaire !

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