Remarquable démonstration de Bastiat qui montre, en 1848, que la comparaison entre le travail (l’économie) et la guerre ne tient pas la route. A méditer par tous ceux qui sont persuadés que l’économie de marché et libre échange sont responsables de tous les maux de la planète !
Il faut aller visiter l’excellent site Bastiat.org, consacré à l’oeuvre de Frédéric Bastiat (1801-1850). La clarté de ses textes, leur actualité aussi, m’ont frappées : je ne peux que vous conseiller d’aller y faire un tour ! Et je ne peux résister à en copier des extraits ici, tirés du dernier « sophisme économique » (1848) qu’il ait publié. Magnifique et limpide ! Un peu long, certes, mais tellement éclairant !
La libre concurrence permet-elle d’acquérir une suprématie ?
« De même qu’en temps de guerre on arrive à la domination par la supériorité des armes, peut-on, en temps de paix, arriver à la domination par la supériorité du travail? »
Cette question est du plus haut intérêt, à une époque où on ne paraît pas mettre en doute que, dans le champ de l’industrie, comme sur le champ de bataille, le plus fort écrase le plus faible.
Pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’on ait découvert, entre le travail qui s’exerce sur les choses et la violence qui s’exerce sur les hommes, une triste et décourageante analogie; car comment ces deux sortes d’actions seraient elles identiques dans leurs effets, si elles étaient opposées par leur nature?
Et s’il est vrai qu’en industrie comme en guerre, la domination est le résultat nécessaire de la supériorité, qu’avons-nous à nous occuper de progrès, d’économie sociale, puisque nous sommes dans un monde où tout a été arrangé de telle sorte, par la Providence, qu’un même effet, l’oppression, sort fatalement des principes les plus opposés? À propos de la politique toute nouvelle où la liberté commerciale entraîne l’Angleterre; beaucoup de personnes font cette objection qui préoccupe, j’en conviens, les esprits les plus sincères: « L’Angleterre fait-elle autre chose que poursuivre le même but par un autre moyen? N’aspire-t-elle pas toujours à l’universelle suprématie? Sûre de la supériorité de ses capitaux et de son travail, n’appelle-t-elle pas la libre concurrence pour étouffer l’industrie du continent, régner en souveraine, et conquérir le privilége de nourrir et vêtir les peuples ruinés? »
Dans l’échange libre, le plus fort renforce le plus faible
Qu’on veuille bien considérer qu’il est une foule de choses que les étrangers, par les avantages naturels dont ils sont entourés, nous empêchent de produire directement, et à l’égard desquelles nous sommes placés, en réalité, dans la position hypothétique que nous examinons quant au fer. Nous ne produisons chez nous ni le thé, ni le café, ni l’or, ni l’argent. Est-ce à dire que notre travail en masse en est diminué? Non; seulement, pour créer la contre-valeur de ces choses, pour les acquérir par voie d’échange, nous détachons de notre travail général une portion moins grande qu’il n’en faudrait pour les produire nous-mêmes. Il nous en reste plus à consacrer à d’autres satisfactions. Nous sommes plus riches, plus forts d’autant. Tout ce qu’a pu faire la rivalité extérieure, même dans les cas où elle nous interdit d’une manière absolue une forme déterminée de travail, c’est de l’économiser, d’accroître notre puissance productive. Est-ce là , pour l’étranger, le chemin de la domination?
Arrêtons d’assimiler commerce et guerre !
Voilà pourquoi il n’est pas permis d’assimiler, comme on le fait, le travail à la guerre.
Dans la guerre, le plus fort accable le plus faible.
Dans le travail, le plus fort communique de la force au plus faible. Cela détruit radicalement l’analogie.
Les Anglais ont beau être forts et habiles, avoir des capitaux énormes et amortis, disposer de deux grandes puissances de production, le fer et le feu; tout cela se traduit en bon marché du produit. Et qui gagne au bon marché du produit? Celui qui l’achète.
Il n’est pas en leur puissance d’anéantir d’une manière absolue une portion quelconque de notre travail. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de le rendre superflu pour un résultat acquis, de donner l’air en même temps qu’ils suppriment la pompe, d’accroître ainsi notre force disponible, et de rendre, chose remarquable, leur prétendue domination d’autant plus impossible que leur supériorité serait plus incontestable.
Ainsi nous arrivons, par une démonstration rigoureuse et consolante, à cette conclusion, que le travail et la violence, si opposés par leur nature, ne le sont pas moins, quoi qu’en disent protectionistes et socialistes, par leurs effets.
Il nous a suffi pour cela de distinguer entre du travail anéanti et du travail économisé.
Cessons donc d’assimiler puérilement la concurrence industrielle à la guerre; fausse assimilation qui tire tout ce qu’elle a de spécieux de ce qu’on isole deux industries rivales pour juger les effets de la concurrence. Sitôt qu’on fait entrer en ligne de compte l’effet produit sur le bien-être général, l’analogie disparaît.
Dans une bataille, celui qui est tué est bien tué, et l’armée est affaiblie d’autant. En industrie, une usine ne succombe qu’autant que l’ensemble du travail national remplace ce qu’elle produisait, avec un excédent. Imaginons un état de choses où, pour un homme resté sur le carreau, il en ressuscite deux pleins de force et de vigueur. S’il est une planète où les choses se passent ainsi, il faut convenir que la guerre s’y fait, dans des conditions si différentes de ce que nous la voyons ici-bas, qu’elle n’en mérite pas même le nom.
Or, c’est là le caractère distinctif de ce qu’on a nommé si mal à propos guerre industrielle.
Concluons que la domination par le travail est impossible et contradictoire, puisque toute supériorité qui se manifeste chez un peuple se traduit en bon marché et n’aboutit qu’à communiquer de la force à tous les autres. Bannissons de l’économie politique toutes ces expressions empruntées au vocabulaire des batailles: Lutter à armes égales, vaincre, écraser, étouffer, être battu, invasion, tribut. Que signifient ces locutions? Pressez-les, et il n’en sort rien… Nous nous trompons, il en sort d’absurdes erreurs et de funestes préjugés. Ce sont ces mots qui arrêtent la fusion des peuples, leur pacifique, universelle, indissoluble alliance, et le progrès de l’humanité !
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