La polémique fait rage à propos de la TVA dite « sociale ». Au point que la gauche et les journalistes n’ont pas hésité à attribuer le regain de vigueur du PS au deuxième tour des législatives à cette polémique, et au manque de clarté dans les explications du gouvernement. Il est nécessaire, pour se faire une idée, de décrire ce qu’est la TVA sociale, et d’essayer, en s’appuyant sur diverses analyses, d’en décrire le mécanisme et les effets – négatifs ou positifs – anticipés. Suite à notre discussion de Café du Commerce, Digiboy a commencé le travail, et je le poursuis ici. Les piliers de comptoir sont capables de lire, et de réfléchir un peu aussi.
Principe de la TVA sociale
Le principe de la TVA sociale est simple : « La TVA sociale vise à changer le mode de financement de la protection sociale, en augmentant la TVA et en baissant d’un montant équivalent (ou en éliminant) les cotisations sociales . » (Wikipedia)
Tout l’enjeu pour nous autres, citoyens français parfaitement incultes en économie, est de comprendre quelles peuvent être les conséquences d’une telle mesure. Les arguments sont nombreux dans un sens comme dans l’autre, et on trouve des économistes et des commentateurs pour soutenir cette mesure, et d’autres pour la critiquer. La plupart doutent, en tout cas…
Effets prévus
Les effets positifs avancés par ceux qui soutiennent la TVA sociale :
- baisser le coût du travail, donc diminuer le chômage
- gains de compétitivité par rapport aux entreprises étrangères
- si les entreprises sont plus compétitives, l’investissement est incité
- suppression d’une partie du lien entre salaire net et cotisations, facilitant les augmentations de salaires
Les effets négatifs redoutés par ceux qui s’opposent à la TVA sociale :
- hausse des prix
- un effet d’aubaine pour certaines entreprises qui peuvent profiter de la baisse des cotisations pour augmenter les profits et non pour baisser les prix
- baisse de la consommation, donc de la croissance
- baisse de pouvoir d’achat, surtout des plus démunis
- enfin, il ne faut pas que « ces recettes nouvelles financent, par exemple, les mesures fiscales que le gouvernement compte mettre en oeuvre à partir de cet été. Sans quoi la hausse de TVA n’aura fait qu’augmenter le niveau général des prélèvements obligatoires dans notre pays. » (Le Figaro)
Mise en place sous condition
Bien sûr, Fillon et son gouvernement ne sont pas des apprentis sorciers, et ils sont suffisamment libéraux pour envisager tous les impacts possibles d’une telle mesure. C’est pourquoi sa mise en oeuvre sera soumise à certaines conditions :
Plusieurs conditions devront être réunies:
- que la baisse de cotisations se retrouve dans les prix et non pas dans les marges des entreprises
- que le niveau global des impôts et cotisations soit constant
- que l’inflation soit maîtrisée, et qu’il n’y ait pas de dérive qui ampute le pouvoir d’achat des Français.
Lors d’une réunion publique à Nantes, mercredi 13 juin 2007, le Premier ministre François Fillon a été clair: « si ces conditions sont réunies, alors nous pourrons avancer. Si ce n’est pas le cas, alors nous ne le ferons pas ». « Quant au taux, beaucoup imaginaient déjà une majoration de 5 % de la TVA. C’est aller un peu vite ! ( …) Le gouvernement y travaille, avec des économistes, de droite comme de gauche, à la lumière des expériences étrangères et avec les partenaires sociaux » a affirmé le Premier ministre qui n’a pas manqué de rappeler que des personnalités de gauche « avaient inscrit la TVA sociale dans leurs projets ou dans leurs réflexions il n’y a pas si longtemps ».
Pour ceux qui veulent aller plus loin, il existe un site consacré à la TVA sociale, dont le blog tourne forcément à 150% en ce moment !
Point de vue libéral
Il est amusant de constater que sur cette question les libéraux se retrouvent du même avis que les anti-libéraux ! Pour des raisons différentes, bien sûr ! Les anti-libéraux expliquent que la TVA est un impôt injuste, puisque tout le monde le paye : le seul impôt juste est celui qui fait payer uniquement les riches (ou au moins plus les riches que les pauvres). Les libéraux ont un discours plus argumenté, et que Pascal Salin résume admirablement bien dans un article qui date de 2004. Je reviens dessus parce que ces arguments me paraissent raisonnables.
L’argumentaire tient en 3 points :
- si le taux de chômage est effectivement directement relié au poids de la fiscalité, il est faux de dire
que le passage des cotisations sociales à une TVA permettrait d’obtenir ce résultat. La raison peut en être exprimée de manière très générale: les cotisations sociales et la TVA reposent très largement sur la même assiette fiscale, de telle sorte qu’en passant de l’une à l’autre on change essentiellement le nom du prélèvement fiscal, mais pas sa réalité.
- La TVA se répercutera sur le travail aussi :
C’est pourquoi l’entrepreneur ne va pas répercuter l’augmentation de TVA sur ses prix de vente, mais sur ses coûts de production. Il en résulte donc, comme son nom l’indique d’ailleurs parfaitement, que la TVA est un impôt sur la valeur ajoutée. Or, la valeur ajoutée correspond nécessairement à des rémunérations (salaires, profits et intérêts). La TVA est payée par les salariés et par les titulaires de profit (sans parler des prêteurs), exactement comme les cotisations sociales. Passer des dernières à la première ne présente donc strictement aucun intérêt.
- Il faut donc diminuer la pression fiscale :
Si l’on veut vraiment diminuer le chômage, il ne sert à rien de s’amuser à passer d’un impôt à un autre (tous les impôts étant plus ou moins prélevés sur la même matière fiscale). Il faut réduire la pression fiscale. En effet, tout prélèvement obligatoire — qu’on l’appelle cotisation sociale, impôt sur le revenu ou TVA, ou autre — a un double effet destructeur: il diminue les incitations à produire de ceux qui le paient et il diminue l’incitation à produire de ceux qui bénéficient des ressources ainsi transférées par l’État (puisque ce qu’ils obtiennent est indépendant de l’effort de travail ou d’épargne qu’ils font). On ne réduira donc pas le chômage en passant d’un prélèvement obligatoire à un autre, mais en supprimant le système dit de Sécurité sociale, que l’on devrait d’ailleurs plutôt appeler un système de Sécurité antisociale — c’est-à -dire en remplaçant le financement des dépenses de santé au moyen de l’impôt par un système d’assurance où les cotisations seraient proportionnelles aux risques et non aux revenus.
On peut relier cette conclusion à l’avis exprimé par Jacques Marseille (à propos des impôts et de la dette publique et du gaspillage de l’Etat) :
L’urgence n’est pas la réduction des impôts mais celle du gaspillage de l’Etat. Centrer le débat sur l’impôt, c’est démagogique. Ce n’est pas prendre les problèmes tels qu’ils se posent. Aujourd’hui, le poids des dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut en France est de 54,5% contre 48,5% dans la zone euro. C’est-à -dire un écart de 100 milliards d’euros avec nos partenaires, deux fois le montant de l’impôt sur le revenu. Sarkozy ne dit pas assez qu’il faut réduire la dépense publique pour le plus grand bénéfice d’une nouvelle forme d’équité sociale. Qu’il supprime plutôt les subventions aux entreprises (65 milliards d’euros) qui ne sont qu’un effet d’aubaine. Le vrai courage pour Sarkozy serait de rompre avec le système mitterrando-chiraquien qui, depuis vingt-cinq ans, a acheté une forme de paix sociale par la dépense publique.
Pour conclure
Ces quelques lectures m’ont finalement donné l’impression qu’on est en train de monter une belle usine à gaz, pour des résultats dont l’ampleur sera relativement restreinte. Tailler dans le lard du gaspillage de l’argent public par l’Etat gestionnaire serait plus efficace. Mais on ne touche pas à la Providence, il est vrai…
Seule, cette mesure de TVA sociale risque de tourner à vide ; appliquée en parallèle des autres mesures annoncées (contrat unique pour assouplir le marché du travail, heures supp’ défiscalisées), elle pourrait participer à des synergies, et à un changement de cap vers le plein emploi. Seule l’action et l’expérimentation pourront dire ce qu’il en est vraiment. C’est ce qui est positif avec cette mesure, dite d’ »expérimentation », car, il ne faut pas oublier la sagesse que nous enseigne la science, comme le disait Durkheim :
Au lieu de nous interroger, interrogeons le réel.
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